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LA RÉVOLUTION


Mantes, un attroupement entoure son cabriolet ; aux yeux du peuple, quiconque vient enlever des grains est une peste publique ; il se sauve à grand’peine par une porte de derrière, et revient à pied à Paris. — Dès le commencement, selon une règle universelle, la crainte de manquer accroît la disette ; chacun se pourvoit pour plusieurs jours ; une fois, dans le galetas d’une vieille femme, on trouva seize pains de quatre livres. Par suite, les fournées, calculées sur les besoins d’un seul jour, deviennent insuffisantes, et les derniers de la queue rentrent chez eux les mains vides. — D’autre part, les subventions que la Ville et l’État fournissent pour diminuer le prix du pain ne font qu’allonger la queue ; les campagnards y affluent et retournent chargés dans leurs villages ; à Saint-Denis, le pain ayant été mis à deux sous la livre, il n’y en a plus pour les habitants. — À cette anxiété permanente, joignez celle du chômage. Non seulement on n’est pas sûr qu’il y ait du pain chez le boulanger la semaine prochaine, mais nombre de gens sont sûrs que, la semaine prochaine, ils n’auront pas d’argent pour aller chez le boulanger. Depuis que la sécurité a disparu et que la propriété est ébranlée, le travail manque. Privés de leurs droits féodaux et, par surcroît, de leurs fermages, les riches ont restreint leurs dépenses ; menacés par le Comité des recherches, exposés aux visites domiciliaires des districts, livrés aux délations de leurs domestiques, beaucoup d’entre eux ont émigré. Au mois de septembre, M. Necker se plaint de six mille passe-ports délivrés en quinze jours aux