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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« abbés et les religieux, attendu que la domination de ceux-ci a duré trop longtemps » ; et là-dessus ils enlèvent tous les titres des propriétés ou des rentes que l’abbaye possède sur leur commune. Dans le Haut-Dauphiné, pendant la dévastation du château de M. de Murat, un nommé Ferréol frappait avec un gros bâton sur les meubles en disant : « Tiens, voilà pour toi, Murat ; il y a longtemps que tu es le maître, c’est notre tour[1] ». Ceux-là mêmes qui dévalisent les maisons et volent à la manière des bandits de grand chemin croient défendre une cause, et répondent au qui-vive : « Nous sommes pour le Tiers-État brigand ». — Partout ils se croient autorisés et se conduisent comme une troupe conquérante sous les ordres d’un général absent. À Remiremont et à Luxeuil, ils montrent un édit portant que « tout ce brigandage, pillage, destruction » est licite. En Dauphiné, les chefs des bandes se disent munis d’ordres du roi. En Auvergne, « ils suivent des ordres impératifs, ils ont des avis que Sa Majesté le veut ainsi ». Nulle part on ne voit que le village insurgé exerce contre son seigneur une vengeance personnelle. S’il tire sur les nobles qu’il rencontre, ce n’est point par rancune. Il détruit une classe, il ne poursuit pas des individus. Il déteste les droits féodaux, les chartriers, les parchemins maudits en vertu desquels il paye, mais non le seigneur qui,

  1. Archives nationales, D, XXIX, I. (Lettre de M. Bergeron, procureur au présidial de Valence, 28 août, avec l’arrêt motivé.) — Procès verbal de la milice bourgeoise de Lyon, remis au président de l’Assemblée nationale, le 10 août. (Expédition à Serrière, en Dauphiné, le 31 juillet.)