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L’ANARCHIE SPONTANÉE


« emploi ». — Aussi bien, pendant les deux mois qui suivent la prise de la Bastille, les insurrections contre l’impôt indirect éclatent par centaines, comme une fusillade. Dès le 23 juillet, l’intendant de Champagne mande que « le soulèvement est général dans presque toutes les villes de sa généralité ». Le lendemain, l’intendant d’Alençon écrit que dans la province « bientôt les droits du roi ne seront plus payés nulle part ». Le 7 août, M. Necker déclare à l’Assemblée nationale que, dans les deux généralités de Caen et d’Alençon, force a été de réduire de moitié le prix du sel, que « dans une infinité de lieux » la perception des aides est arrêtée ou suspendue, que la contrebande du sel ou du tabac se fait « par convois et à force ouverte » en Picardie, en Lorraine et dans les Trois-Évêchés, que d’ailleurs l’impôt direct ne rentre pas, que les receveurs généraux et les receveurs de la taille sont « aux abois », et ne peuvent plus tenir leurs engagements. Chaque mois, le revenu public diminue ; dans le corps social, le cœur déjà si faible défaille et, privé du sang qui ne remonte plus jusqu’à lui, il cesse de pousser dans les muscles la vivifiante ondée qui les répare et qui les tend.

« Tout est relâché, dit Necker, tout est en proie aux passions individuelles. » Où est la force pour les contraindre et pour faire rendre à l’État son dû ? — Sans doute, le clergé, la noblesse, les bourgeois aisés, quelques braves artisans et laboureurs payent et même parfois donnent spontanément. Mais, dans une société, ceux qui ont des lumières, de l’aisance et de la conscience, ne