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L’ANARCHIE SPONTANÉE


à la merci d’une bande de sauvages, parfois d’une bande de cannibales. Ceux de Troyes viennent de torturer Huez à la manière des Hurons ; ceux de Caen ont fait pis : le major de Belsunce, non moins innocent et garanti par la foi jurée[1], a été dépecé comme Lapérouse aux îles Fidji, et une femme a mangé son cœur.

VI

En de pareilles circonstances, on devine si les impôts rentrent et si des municipalités qui vacillent à tous les souffles populaires ont la force de soutenir les droits odieux du fisc. — Vers la fin de septembre[2], je trouve une liste de trente-six comités ou corps municipaux qui, dans un rayon de cinquante lieues autour de Paris, refusent de protéger la perception des taxes. L’un tolère la vente du faux-sel pour ne pas exciter d’émeutes. L’autre, par précaution, a désarmé les employés de la régie. Dans un troisième, les officiers municipaux ont été les premiers à s’approvisionner de faux-sel et de faux-tabac. À Péronne et Ham, l’ordre étant venu de rétablir les barrières, le peuple a détruit tous les corps de garde, est allé prendre tous les employés chez eux et leur a commandé de déguerpir, sous peine de mort, dans les vingt-quatre heures. Après vingt mois de résistance, Paris

  1. Mercure de France, 26 septembre 1789. Lettre des officiers du régiment de Bourbon et des membres du comité général de Caen. — Floquet, VII, 545.
  2. Archives nationales, H, 1453. — Ib., D, XXIX, 1. Note de M. de la Tour-du-Pin, 28 octobre.