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LA RÉVOLUTION


gens intimidés, le maire, qui a trente-quatre ans de service, donne sa démission et quitte le pays. — À Rouen, dès le 24 juillet[1], un placard, écrit à la main, indique par son orthographe et par son style les intelligences qui l’ont composé et les actions qui vont suivre : « Nation, vous avez ici quatre têtes à abattre, celle de Pontcarré (le premier président), de Maussion (l’intendant), de Godard de Belbeuf (le procureur général et de Durand (le procureur du roi de la ville). Sans cela, nous sommes perdus, et, si vous ne le faites, vous passerez pour une nation sans cœur. » Rien de plus net ; mais la municipalité, à qui le parlement dénonce cette liste de proscription, répond, avec son optimisme de commande, « qu’aucun citoyen ne peut se regarder ni être regardé comme proscrit ; qu’il peut et doit se croire en sûreté dans son domicile, persuadé qu’il n’est pas d’individu dans la cité qui ne soit prêt à voler à son secours ». C’est dire à la populace qu’elle est libre de faire ce qui lui plaira. Là-dessus, les chefs d’émeute travaillent en sécurité pendant dix jours : l’un d’eux est Jourdain, chirurgien de Lisieux, et, comme la plupart de ses confrères, démagogue à principes ; l’autre est un cabotin de Paris, Bordier, célèbre dans le rôle d’Arlequin[2], souteneur d’un tripot, « rouleur de nuit, ribotteur, qui, devant à Dieu et à diable, » s’est jeté dans le patriotisme, et vient jouer la tragédie, la tragédie réelle, en province. Dans la nuit du 3 au 4 août,

  1. Floquet, VII, 551.
  2. E. et J. de Goncourt, La société française pendant la Révolution, 37.