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L’ANARCHIE SPONTANÉE


une ville de vingt mille âmes, le présidial, le comité des vingt-quatre commissaires, les 200 dragons, les 800 hommes de la garde bourgeoise, sont « tous paralysés, tous engourdis par la plus vile populace. Les voies de douceur n’ont fait qu’augmenter son insubordination et son insolence ». Elle proscrit qui bon lui semble, et, depuis six jours, une potence, dressée par ses mains, annonce aux nouveaux magistrats la destinée qui les attend. « Que deviendrons-nous, disent-ils, cet hiver, en un pays pauvre, où le pain manque ? Nous allons être en proie aux bêtes féroces. »

III

En effet, elles ont faim, et, depuis la Révolution, leur misère n’a fait que croître. Autour du Puy-en-Velay, un orage terrible, une grêle affreuse, une pluie diluvienne, ont ravagé le pays, effondré les terres. Dans le Midi, la récolte a été médiocre ou même insuffisante. « Tracer un tableau de l’état du Languedoc, écrit l’intendant[1], serait donner une relation de tous les genres de cala-

    de ma généralité… L’impunité dont on se flatte, parce que les juges craignent d’irriter le peuple par des exemples de sévérité, ne fait que de l’enhardir. Des malfaiteurs, confondus avec des honnêtes gens, sèment des bruits faux contre des particuliers, qu’ils accusent de cacher des grains ou de n’être pas du Tiers-État, et, sous ce prétexte, fondent sur les maisons de ces gens où ils pillent tout ce qu’ils trouvent, et qui n’évitent la mort que par la fuite. »

  1. Archives nationales, H, 942. (Observations de M. de Ballainvilliers, 30 octobre 1789.)