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L’ANCIEN RÉGIME


politique, » celle de journaliste ou de pamphlétaire au service d’un parti, en France, tous les soirs, ils soupent en ville, et sont l’ornement, l’amusement des salons où ils vont causer[1]. Parmi les maisons où l’on dîne, il n’y en a pas qui n’ait son philosophe en titre, un peu plus tard son économiste, son savant. Dans les correspondances et les mémoires, on les suit à la trace, de salon en salon, de château en château, Voltaire à Cirey chez Mme du Châtelet, puis chez lui à Ferney, où il a un théâtre et reçoit toute l’Europe, Rousseau chez Mme d’Épinay et chez M. de Luxembourg, l’abbé Barthélemy chez la duchesse de Choiseul, Thomas, Marmontel et Gibbon chez Mme Necker, les encyclopédistes aux amples dîners de d’Holbach, aux sages et discrets dîners de Mme Geoffrin, dans le petit salon de Mlle de Lespinasse, tous dans le grand salon officiel et central, je veux dire à l’Académie française, où chaque élu nouveau vient faire parade de style et recevoir de la société polie son brevet de maître dans l’art de discourir. — Un tel public impose à un auteur l’obligation d’être écrivain, encore plus que philosophe. Le penseur est tenu de se préoccuper de ses phrases au moins autant que de ses idées : il ne lui est point permis de n’être qu’un homme de cabi-

  1. « Je rencontrais à Paris les d’Alembert, les Marmontel les Bailly chez les duchesses ; c’était un immense avantage pour eux et pour elles… Quand un homme chez nous se met à faire des livres, ou le considère comme renonçant également à la société des gens qui gouvernent et des gens qui rient… À la vanité littéraire près, la vie de vos d’Alembert et de vos Bailly était aussi gaie que celle de vos seigneurs. » (Stendhal, Rome, Naples et Florence, 377, récit du colonel Forsyth.)