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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


un couvent, il faut que les novices soient élevés en moines ; sinon, quand ils auront grandi, il n’y aura plus de couvent.

En dernier lieu, notre couvent laïque a sa religion, une religion laïque. Si j’en professe une autre, c’est sous son bon plaisir et avec des restrictions. Par nature, il est hostile aux associations autres que lui-même ; elles sont des rivales, elles le gênent, elles accaparent la volonté et faussent le vote de leurs membres. « Il importe, pour bien avoir l’énoncé de la volonté générale, qu’il n’y ait pas de société partielle dans l’État, et que chaque citoyen n’opine que d’après lui[1]. » Tout ce qui rompt l’unité sociale ne vaut rien », et il vaudrait mieux pour l’État qu’il n’y eût point d’Église. — Non seulement toute Église est suspecte, mais, si je suis chrétien, ma croyance est vue d’un mauvais œil. Selon le nouveau législateur, « rien n’est plus contraire que le christianisme à l’esprit social… : une société de vrais chrétiens ne serait plus une société d’hommes. » Car « la patrie du chrétien n’est pas de ce monde ». Il ne peut pas être zélé pour l’État et il est tenu en conscience de supporter les tyrans. Sa loi « ne prêche que servitude et dépendance… il est fait pour être esclave », et d’un esclave on ne fera jamais un citoyen. « République chrétienne, chacun de ces deux mots exclut l’autre. » Partant, si la future république me permet d’être chrétien, c’est à la condition sous-entendue que

  1. Rousseau, Contrat social, II, 3, IV, 8.