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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


« égard ils ne font proprement que changer de nom et qu’ils auront en commun, sous le nom de citoyens, la même autorité sur leurs enfants qu’ils exerçaient séparément sous le nom de pères. » En d’autres termes, vous cessez d’être père, mais, en échange, vous devenez inspecteur des écoles ; l’un vaut l’autre ; de quoi vous plaignez-vous ? C’était le cas dans l’armée permanente qu’on appelle Sparte ; là les enfants, vrais enfants de troupe, obéissaient tous également à tous les hommes faits. « Ainsi l’éducation publique, dans des règles prescrites par le gouvernement, et sous des magistrats établis par le souverain, est une des maximes fondamentales du gouvernement populaire ou légitime. » — C’est par elle qu’on forme d’avance le citoyen. « C’est elle[1] qui doit donner aux âmes la forme nationale. Les peuples sont à la longue ce que le gouvernement les fait être : guerriers, citoyens, hommes quand il le veut, populace, canaille quand il lui plaît », et c’est par l’éducation qu’il les façonne. « Voulez-vous prendre une idée de l’éducation publique, lisez la République de Platon[2]… Les bonnes institutions sociales sont celles qui savent le mieux dénaturer l’homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l’unité commune, en sorte que chaque particulier ne se croie plus un, mais partie de l’unité, et ne soit plus sensible que dans le tout. Un enfant, en ouvrant les yeux, doit voir la patrie, et,

  1. Rousseau, sur le Gouvernement de Pologne, 277, 283, 287.
  2. Rousseau, Émile, livre I.