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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


rant des services locaux et généraux, spirituels et matériels, à l’initiative privée et aux associations spontanées qui se formeront au fur et à mesure des occasions et des besoins. Notre État n’est point une simple machine utilitaire, un outil commode à la main, dont l’ouvrier se sert sans renoncer à l’emploi indépendant de sa main ou à l’emploi simultané d’autres outils. Premier-né, fils unique et seul représentant de la raison, il doit, pour la faire régner, ne rien laisser hors de ses prises. — En ceci l’ancien régime conduit au nouveau, et la pratique établie incline d’avance les esprits vers la théorie naissante. Déjà, depuis longtemps, par la centralisation administrative, l’État à la main partout[1]. « Sachez, disait Law au marquis d’Argenson, que ce royaume de France est gouverné par trente intendants. Vous n’avez ni Parlements, ni États, ni gouverneurs ; ce sont trente maîtres des requêtes, commis aux provinces, de qui dépendent le bonheur ou le malheur de ces provinces, leur abondance ou leur stérilité. » En fait, le roi, souverain, père et tuteur universel, conduit par ses délégués les affaires locales, et intervient par ses lettres de cachet ou par ses grâces jusque dans les affaires privées. Sur cet exemple et dans cette voie, les imaginations s’échauffent depuis un demi-siècle. Rien de plus commode qu’un tel instrument pour faire les réformes en grand et d’un seul coup. C’est pourquoi, bien loin de restreindre le pouvoir central, les économistes ont voulu l’étendre. Au lieu de lui

  1. Tocqueville, l’Ancien régime, livre II tout entier ; et livre III, ch. 3.