Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/70

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
L’ANCIEN RÉGIME


à leur bon roi. On les exhortera « à l’étonner par leurs vertus, pour qu’il reçoive plus tôt le prix des siennes[1] ». Au plus fort de la Jacquerie, les sages du temps supposeront toujours qu’ils vivent en pleine églogue, et qu’avec un air de flûte ils vont ramener dans la bergerie la meute hurlante des colères bestiales et des appétits déchaînés.

III

Il est triste, quand on s’endort dans une bergerie, de trouver à son réveil les moutons changés en loups ; et cependant, en cas de révolution, on peut s’y attendre. Ce que dans l’homme nous appelons la raison n’est point un don inné, primitif et persistant, mais une acquisition tardive et un composé fragile. Il suffit des moindres notions physiologiques pour savoir qu’elle est un état d’équilibre instable, lequel dépend de l’état non moins instable du cerveau, des nerfs, du sang et de l’estomac. Prenez des femmes qui ont faim et des hommes qui ont bu ; mettez-en mille ensemble, laissez-les s’échauffer par leurs cris, par l’attente, par la contagion mutuelle de leur émotion croissante ; au bout de quelques heures, vous n’aurez plus qu’une cohue de fous dangereux ; dès 1789 on le saura et de reste. — Maintenant, interrogez la psychologie : la plus simple opération mentale, une per-

  1. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, IV, 522, adresse du 11 février 1790. « Touchante et sublime adresse », dit un député. Elle fut accueillie de l’assemblée « par des applaudissements sans exemple ». Il faudrait pouvoir la citer tout entière.