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L’ANCIEN RÉGIME


« fants qu’ils oublient qu’ils sont pauvres ». — « Ô mon père[1], s’écrie un jeune pâtre des Pyrénées, recevez ce chien fidèle qui m’obéit depuis sept ans ; qu’à l’avenir il vous suive et vous défende ; il ne m’aura jamais plus utilement servi. » — Il serait trop long de suivre dans la littérature de la fin du siècle, depuis Marmontel jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, depuis Florian jusqu’à Berquin et Bitaubé, la répétition interminable de ces douceurs et de ces fadeurs. — L’illusion gagne jusqu’aux hommes d’État. « Sire, dit Turgot en présentant au roi un plan d’éducation politique[2], j’ose vous répondre que dans dix ans votre nation ne sera plus reconnaissable, et que, par les lumières, les bonnes mœurs, par le zèle éclairé pour votre service et pour celui de la patrie, elle sera au-dessus des autres peuples. Les enfants qui ont actuellement dix ans se trouveront alors des hommes préparés pour l’État, affectionnés à leur pays, soumis, non par crainte, mais par raison, à l’autorité, secourables envers leurs concitoyens, accoutumés à reconnaître et à respecter la justice. » — Au mois de janvier 1789[3], Necker, à qui M. de Bouillé montrait le

  1. Mme de Genlis, Souvenirs de Félicie, 371-391.
  2. Tocqueville, L’ancien régime. 237. — Cf. L’an 2440, par Mercier. 3 vol. On y verra tout le détail d’un de ces beaux rêves. L’ouvrage fut publié d’abord en 1770. « La Révolution, dit un des personnages, s’est opérée sans effort, par l’héroïsme d’un grand homme, d’un roi philosophe digne du pouvoir, parce qu’il le dédaignait, etc. » (Tome II, 109.)
  3. Mémoires de M. de Bouillé, 70. — Cf. M. de Barante, Tableau de la littérature française au dit huitième siècle, 318. « On s’imaginait que la civilisation et les lumières avaient amorti toutes les passions, adouci tous les caractères. Il semblait que