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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


est à nous qui l’avons mal préparé ; il y arrivera, si nous prenons la peine de l’y conduire. Car il a des sens comme nous, et les sensations rappelées, combinées, notées par des signes, suffisent pour former « non seulement toutes nos idées, mais encore toutes nos facultés[1] ». Une filiation exacte et continue rattache à nos perceptions les plus simples les sciences les plus compliquées, et, du plus bas degré au plus élevé, on peut poser une échelle ; quand l’écolier s’arrête en chemin, c’est que nous avons laissé trop d’intervalle entre deux échelons ; n’omettons aucun intermédiaire, et il montera jusqu’au sommet. — À cette haute idée des facultés de l’homme s’ajoute une idée non moins haute de son cœur. Rousseau a déclaré qu’il est bon, et le beau monde s’est jeté dans cette croyance avec toutes les exagérations de la mode et toute la sentimentalité des salons. On est convaincu que l’homme, surtout l’homme du peuple, est naturellement sensible, affectueux, que tout de suite il est touché par les bienfaits et disposé à les reconnaître, qu’il s’attendrit à la moindre marque d’intérêt, qu’il est capable de toutes les délicatesses. Les estampes[2] représentent dans une chaumière délabrée deux enfants, l’un de cinq ans, l’autre de trois, auprès de leur grand mère infirme, l’un lui soulevant la tête, l’autre lui donnant à boire ; le père et la mère qui rentrent, voient ce spectacle touchant, et « ces bonnes gens se trouvent alors si heureux d’avoir de tels en-

  1. Condillac, Logique.
  2. Histoire de France par Estampes, 1789 (au Cabinet des Estampes).