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L’ANCIEN RÉGIME


commune à lui et aux autres. Ce reliquat est l’homme en général, en d’autres termes « un être sensible et raisonnable, qui en cette qualité évite la douleur, cherche le plaisir », et partant aspire « au bonheur, c’est-à-dire à un état stable dans lequel on éprouve plus de plaisir que de peine[1] », ou bien encore « c’est un être sensible, capable de former des raisonnements et d’acquérir des idées morales[2] ». Le premier venu peut trouver cette notion dans son expérience et la vérifier lui-même du premier regard. Telle est l’unité sociale ; réunissons-en plusieurs, mille, cent mille, un million, vingt-six millions, et voilà le peuple français. On suppose des hommes nés à vingt et un ans, sans parents, sans passé, sans tradition, sans obligations, sans patrie, et qui, assemblés pour la première fois, vont pour la première fois traiter entre eux. En cet état, et au moment de contracter ensemble, tous sont égaux ; car, par définition, nous avons écarté les qualités extrinsèques et postiches par lesquelles seules ils différaient. Tous sont libres ; car, par définition, nous avons supprimé les sujétions injustes que la force brutale et le préjugé héréditaire leur imposaient. — Mais, tous étant égaux, il n’y a aucune raison pour que, par leur contrat, ils concèdent des avantages particuliers à l’un plutôt qu’à l’autre. Ainsi tous seront égaux devant la loi ; nulle personne, famille ou classe, n’aura de privilège ; nul ne pourra réclamer un droit dont un autre serait privé ; nul

  1. Saint-Lambert, Catéchisme universel, premier dialogue, 17.
  2. Condorcet. Ibid. Neuvième époque. « De cette seule vérité, les publicistes sont parvenus à déduire les droits de l’homme. »