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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


arrivé. Désormais il y aura deux histoires[1], l’une celle du passé, l’autre celle de l’avenir, auparavant l’histoire de l’homme encore dépourvu de raison, maintenant l’histoire de l’homme raisonnable. Enfin le règne du droit va commencer. De tout ce que le passé a fondé et transmis, rien n’est légitime. Par-dessus l’homme naturel, il a créé un homme artificiel, ecclésiastique ou laïque, noble ou roturier, roi ou sujet, propriétaire ou prolétaire, ignorant ou lettré, paysan ou citadin, esclave ou maître, toutes qualités factices dont il ne faut point tenir compte, puisque leur origine est entachée de violence et de dol. Ôtons ces vêtements surajoutés ; prenons l’homme en soi, le même dans toutes les conditions, dans toutes les situations, dans tous les pays, dans tous les siècles, et cherchons le genre d’association qui lui convient. Le problème ainsi posé, tout le reste suit. — Conformément aux habitudes de l’esprit classique et aux préceptes de l’idéologie régnante, on construit la politique sur le modèle des mathématiques[2]. On isole une donnée simple, très générale, très accessible à l’observation, très familière, et que l’écolier le plus inattentif et le plus ignorant peut aisément saisir. Retranchez toutes les différences qui séparent un homme des autres ; ne conservez de lui que la portion

  1. Barère. Point du jour, n° 1 (15 juin 1789). « Vous êtes appelés à recommencer l’histoire. »
  2. Condorcet, Ib. « Les méthodes des sciences mathématiques, appliquées à de nouveaux objets, ont ouvert des routes nouvelles aux sciences politiques et morales. » — Cf. dans Rousseau, Contrat social, le calcul mathématique de la fraction de souveraineté qui revient à chacun.