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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


elle ne s’établit qu’en détruisant l’égalité primitive, et ses deux institutions principales, la propriété et le gouvernement, sont des usurpations. « Le premier[1] qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d’horreurs n’eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux et comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d’écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n’est à personne ! » — La première propriété fut un vol par lequel l’individu dérobait à la communauté une partie de la chose publique. Rien ne justifiait son attentat, ni son industrie, ni sa peine, ni la valeur qu’il a pu ajouter au sol. « Il avait beau dire : C’est moi qui ai bâti ce mur, j’ai gagné ce terrain par mon travail. — Qui vous a donné les alignements, pouvait-on lui répondre, et en vertu de quoi prétendez-vous être payé d’un travail que nous ne vous avons point imposé ? Ignorez-vous qu’une multitude de vos frères périt ou souffre du besoin de ce que vous avez de trop, et qu’il vous fallait un consentement exprès et unanime du genre humain pour vous approprier, sur la subsistance commune, tout ce qui allait au delà de la vôtre ? » — On reconnaît, à travers la

    « ments aux peuples, comme il faut des béquilles aux vieillards. » lettre à M. Philopolis, 248.)

  1. Discours sur l’origine de l’inégalité, passim.