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LE PEUPLE


la multitude appelle tristes-à-patte. « Ce sobriquet met en fureur cette espèce de milice, qui appesantit alors les coups de bourrade et qui blesse indistinctement tout ce qu’elle rencontre. Le petit peuple est toujours sur le point de lui faire la guerre, parce qu’il n’en a jamais été ménagé. » À la vérité, « une escouade du guet dissipe souvent sans peine des pelotons de cinq à six cents hommes qui paraissent d’abord fort échauffés, mais qui se fondent en un clin-d’œil dès que les soldats ont distribué quelques bourrades et gantelé deux ou trois mutins. » — Néanmoins, « si l’on abandonnait le peuple de Paris à son premier transport, s’il ne sentait plus derrière lui le guet à pied et à cheval, le commissaire et l’exempt, il ne mettrait aucune mesure dans son désordre. La populace, délivrée du frein auquel elle est accoutumée, s’abandonnerait à des violences d’autant plus cruelles qu’elle ne saurait elle-même où s’arrêter… Tant que le pain de Gonesse ne manquera pas, la commotion ne sera pas générale ; il faut que la halle[1] y soit intéressée, sinon les femmes demeureront calmes… Mais si le pain de Gonesse venait à manquer pendant deux marchés de suite, le soulèvement serait universel, et il est impossible de calculer à quoi se porterait cette

  1. Dialogues sur le commerce des blés, par Galiani (1770). « Si les forts de la halle sont contents, il n’arrivera aucun désastre à l’administration. Les grands conspirent et se révoltent ; les bourgeois se plaignent et vivent dans le célibat ; les paysans et les artisans se désespèrent et s’en vont ; les portefaix s’ameutent. »