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L’ANCIEN RÉGIME


plusieurs, au contact des scélérats, en sortent scélérats. — Contagion morale et contagion physique : l’ulcère grandit ainsi par le remède, et les centres de répression deviennent des foyers de corruption.

Et cependant, avec toutes ses rigueurs, la loi n’atteint pas son objet. « Nos villes, dit le parlement de Bretagne[1], sont tellement peuplées de mendiants, qu’il semble que tous les projets formés pour bannir la mendicité n’ont fait que l’accroître. » — « Les grands chemins, écrit l’intendant, sont infestés de vagabonds dangereux, de gens sans aveu et de véritables mendiants que la maréchaussée n’arrête pas, soit par négligence, soit parce que son ministère n’est point provoqué par des sollicitations particulières. » Qu’en ferait-on, si elle les arrêtait ? Il y en a trop, on ne saurait où les mettre. Et d’ailleurs comment empêcher des gens à l’aumône de demander l’aumône ? — Sans doute l’effet en est lamentable, mais il est infaillible. À un certain degré, la misère est une gangrène lente où la partie malade mange la partie saine, et l’homme qui subsiste à peine est rongé vif par l’homme qui n’a pas de quoi subsister. « Le paysan est ruiné, il périt victime de l’oppression de la multitude des pauvres qui désolent les campagnes et se réfugient dans les villes. De là ces attroupements dangereux à la sûreté publique ; de là cette foule de fraudeurs, de vagabonds ; de là cette multitude d’hommes devenus

  1. Archives nationales, H, 426. (Remontrances du 4 février 1783.) — H, 554. (Lettre de M. de Bertrand du 17 août 1785.)