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LE PEUPLE


« du premier lit à la sollicitation de leur belle-mère ; beaucoup de servantes grosses des œuvres du maître qu’elles servaient, enfermées sur sa dénonciation, et des filles dans le même cas, sur la dénonciation de leur séducteur ; des enfants sur la dénonciation de leur père, et des pères sur la dénonciation de leurs enfants : tous sans la moindre preuve de vagabondage et de mendicité… Il n’existe pas un seul jugement prévôtal qui ait rendu la liberté aux détenus, malgré le nombre infini de ceux qui ont été arrêtés injustement. » — Supposons qu’un intendant humain, comme celui-ci, les élargisse : les voilà sur le pavé, mendiants par la faute de la loi qui poursuit la mendicité et qui ajoute aux misérables qu’elle poursuit les misérables qu’elle fait, aigris de plus, gâtés de corps et d’âme. « Il arrive presque toujours, dit encore l’intendant, que les détenus, arrêtés à vingt-cinq ou trente lieues du dépôt, n’y sont renfermés que trois ou quatre mois après leur arrestation, et quelquefois plus longtemps. En attendant, ils sont transférés de brigade en brigade dans les prisons qui se trouvent sur la route, où ils séjournent jusqu’à ce qu’il en soit arrivé un assez grand nombre pour former un convoi. Les hommes et les femmes sont renfermés dans la même prison, et il en résulte toujours que celles qui n’étaient pas grosses quand elles ont été arrêtées le sont toujours quand elles arrivent au dépôt. Les prisons sont ordinairement malsaines ; souvent la plupart des détenus en sortent malades ; »