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L’ANCIEN RÉGIME


contre l’homme qui de près ou de loin touche au blé, l’acharnement est aveugle et sourd. La brute lâchée écrase tout en se blessant elle-même, et se heurte en mugissant contre l’obstacle qu’il fallait tourner.

III

C’est que les conducteurs lui manquent, et que, faute d’organisation, une multitude n’est qu’un troupeau. Contre tous ses chefs naturels, contre les grands, les riches, les gens en place et revêtus d’autorité, sa défiance est invétérée et incurable. Ils ont beau lui vouloir du bien et lui en faire, elle refuse de croire à leur humanité et à leur désintéressement. Elle a été trop foulée ; elle a des préventions contre toutes les mesures qui viennent d’eux, même les plus salutaires, même les plus libérales. « Au seul nom des nouvelles assemblées, dit une commission provinciale en 1787[1], nous avons entendu un pauvre laboureur s’écrier : Hé quoi ! Encore de nouvelles mangeries ! » — Tous leurs supérieurs leur sont suspects, et du soupçon à l’hostilité il n’y a pas loin. En 1788[2], Mercier déclare que, « depuis quelques années, l’insubordination est visible dans le peuple, et surtout dans les métiers… Jadis, lorsque j’entrais dans une imprimerie, les garçons ôtaient leurs

  1. Procès-verbaux de l’Assemblée provinciale de l’Orléanais, 296. « Une défiance toujours tremblante règne encore dans les campagnes… Vos premiers ordres d’assemblées de département n’ont en quelques endroits réveillé que des soupçons.
  2. Tableau de Paris, XII, 186.