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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


toutes faites, et l’Académie des sciences tient à beaucoup d’égards la place des anciens conciles. Toujours, sauf chez quelques savants spéciaux, la croyance et l’obéissance seront irréfléchies, et la raison s’indignerait à tort de ce que le préjugé conduit les choses humaines, puisque, pour les conduire, elle doit elle-même devenir un préjugé.

III

Par malheur, au dix-huitième siècle, la raison était classique, et les aptitudes aussi bien que les documents lui manquaient pour comprendre la tradition. — D’abord on ignorait l’histoire ; l’érudition rebutait parce qu’elle est ennuyeuse et lourde ; on dédaignait les doctes compilations, les grands recueils de textes, le lent travail de la critique. Voltaire raillait les Bénédictins. Pour faire passer son Esprit des lois, Montesquieu faisait de l’esprit sur les lois. Raynal, afin de donner la vogue à son histoire du commerce dans les Indes, avait le soin d’y coudre les déclamations de Diderot. L’abbé Barthélemy devait étaler l’uniformité de son vernis littéraire sur la vérité des mœurs grecques. La science était tenue d’être épigrammatique ou oratoire ; le détail technique ou cru aurait déplu à un public de gens du monde ; le beau style omettait ou faussait les petits faits significatifs qui donnent aux caractères anciens leur tour propre et leur relief original. — Quand même on aurait osé les noter, on n’en aurait pas démêlé le sens