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L’ANCIEN RÉGIME


pas dans l’égoïsme, il fournit au pays l’un des meilleurs gouvernements que l’on ait vus dans le monde, non seulement le plus stable, le plus capable de suite, le plus propre à maintenir ensemble vingt ou trente millions d’hommes, mais encore l’un des plus beaux, puisque le dévouement y ennoblit le commandement et l’obéissance, et que, par un prolongement de la tradition militaire, la fidélité et l’honneur rattachent de grade en grade le chef à son devoir et le soldat à son chef. Tels sont les titres très valables du préjugé héréditaire ; on voit qu’il est, comme l’instinct, une forme aveugle de la raison. Et ce qui achève de le légitimer, c’est que, pour devenir efficace, la raison elle-même doit lui emprunter sa forme. Une doctrine ne devient active qu’en devenant aveugle. Pour entrer dans la pratique, pour prendre le gouvernement des âmes, pour se transformer en un ressort d’action, il faut qu’elle se dépose dans les esprits à l’état de croyance faite, d’habitude prise, d’inclination établie, de tradition domestique, et que, des hauteurs agitées de l’intelligence, elle descende et s’incruste dans les bas-fonds immobiles de la volonté ; alors seulement elle fait partie du caractère et devient une force sociale. Mais, du même coup, elle a cessé d’être critique et clairvoyante ; elle ne tolère plus les contradictions ou le doute, elle n’admet plus les restrictions ni les nuances ; elle ne sait plus ou elle apprécie mal ses preuves. Nous croyons aujourd’hui au progrès indéfini à peu près comme on croyait jadis à la chute originelle ; nous recevons encore d’en haut nos opinions