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L’ESPRIT ET LA DOCTRINE


rieures pour consacrer la religion. Considérez-la, non pas en général et d’après une notion vague, mais sur le vif, à sa naissance, dans les textes, en prenant pour exemple une de celles qui maintenant règnent sur le monde, christianisme, brahmanisme, loi de Mahomet ou de Bouddha. À certains moments critiques de l’histoire, des hommes, sortant de leur petite vie étroite et routinière, ont saisi par une vue d’ensemble l’univers infini ; la face auguste de la nature éternelle s’est dévoilée tout d’un coup ; dans leur émotion sublime, il leur a semblé qu’ils apercevaient son principe ; du moins ils en ont aperçu quelques traits. Et, par une rencontre admirable, ces traits étaient justement les seuls que leur siècle, leur race, un groupe de races, un fragment de l’humanité fût en état de comprendre. Leur point de vue était le seul auquel les multitudes échelonnées au-dessous d’eux pouvaient se mettre. Pour des millions d’hommes, pour des centaines de générations, il n’y avait d’accès que par leur voie aux choses divines. Ils ont prononcé la parole unique, héroïque ou tendre, enthousiaste ou assoupissante, la seule qu’autour d’eux et après eux le cœur et l’esprit voulussent entendre, la seule qui fût adaptée à des besoins profonds, à des aspirations accumulées, à des facultés héréditaires, à toute une structure mentale et morale, là-bas à celle de l’Indou ou du Mongol, ici à celle du Sémite ou de l’Européen, dans notre Europe à celle du Germain, du Latin ou du Slave ; en sorte que ses contradictions, au lieu de la condamner, la justifient, puisque sa diversité produit son adap-