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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


perdu à ce point le sens des choses réelles. Jamais ils n’ont été à la fois plus aveugles et plus chimériques. Jamais leur vue troublée ne les a plus rassurés sur le danger véritable, et plus alarmés sur le danger imaginaire. Les étrangers qui sont de sang-froid et qui assistent à ce spectacle, Mallet du Pan, Dumont de Genève, Arthur Young, Jefferson, Gouverneur Morris, écrivent que les Français ont l’esprit dérangé. Dans ce délire universel, Morris ne peut citer à Washington qu’une seule tête saine, Marmontel, et Marmontel ne parle pas autrement que Morris. Aux clubs préparatoires et aux assemblées d’électeurs, il est le seul qui se lève contre les propositions déraisonnables. Autour de lui, ce ne sont que gens échauffés, exaltés à propos de rien, jusqu’au grotesque[1]. Dans tout usage du régime établi, dans toute mesure de l’administration, « dans les règlements de police, dans les édits sur les finances, dans les autorités graduelles sur lesquelles reposaient l’ordre et la tranquillité publiques, il n’y avait rien ou l’on ne trouvât un caractère de tyrannie… Il s’agissait du mur d’enceinte et des barrières de Paris qu’on dénonçait comme un enclos de bêtes fauves, trop injurieux pour des hommes ». — « J’ai vu, dit l’un des orateurs, j’ai vu à la barrière Saint-Victor, sur l’un des piliers en sculpture, le croiriez-vous ? j’ai vu l’énorme tête d’un lion, gueule béante, et vomissant des chaînes dont il menace les passants ; peut-on

  1. Marmontel, II, 245.