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L’ANCIEN RÉGIME


leurs cahiers. Un élève qui assisterait et rédigerait lui-même serait mal vu ; on l’accuserait d’ôter aux copistes leur gagne-pain. Par suite le diplôme est nul ; à Bourges on l’obtient en six mois ; si le jeune homme finit par savoir la loi, c’est plus tard par l’usage et la pratique. — Des lois et institutions étrangères, nulle connaissance, à peine une notion vague ou fausse. Malouet lui-même se figure mal le Parlement anglais, et plusieurs, sur l’étiquette, l’imaginent d’après le Parlement de France. — Quant au mécanisme des constitutions libres ou aux conditions de la liberté effective, cela est trop compliqué. Depuis vingt ans, sauf dans les grandes familles de magistrature, Montesquieu est suranné. À quoi bon les études sur l’ancienne France ? « Qu’est-il résulté de tant et de si profondes recherches ? Des conjectures laborieuses et des raisons de douter[1]. » Il est bien plus commode de partir des droits de l’homme et d’en déduire les conséquences. À cela la logique de l’École suffit, et la rhétorique du collège fournira les tirades. — Dans ce grand vide des intelligences, les mots indéfinis de liberté, d’égalité, de souveraineté du peuple, les phrases ardentes de Rousseau et de ses successeurs, tous les nouveaux axiomes flambent comme des charbons allumés, et dégagent une fumée chaude, une vapeur enivrante. La parole gigantesque et vague s’interpose entre l’esprit et les objets ; tous les contours sont brouillés et le vertige commence. Jamais les hommes n’ont

  1. Prudhomme, Résumé des cahiers. (Préface par Jean Rousseau.)