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L’ANCIEN RÉGIME


« ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et de succéder à des droits de conquête[1] ? Je suppose qu’à défaut de police Cartouche se fût rétabli plus solidement sur un grand chemin ; aurait-il acquis un véritable droit de péage ? S’il avait eu le temps de vendre cette sorte de monopole, jadis assez commun, à un successeur de bonne foi, son droit serait-il devenu beaucoup plus respectable entre les mains de l’acquéreur ?… Tout privilège est, de sa nature, injuste, odieux et contraire au pacte social. Le sang bouillonne à la seule idée qu’il fut possible de consacrer légalement à la fin du dix-huitième siècle les abominables fruits de l’abominable féodalité… La caste des nobles est véritablement un peuple à part, mais un faux peuple qui, ne pouvant, faute d’organes utiles, exister par lui-même, s’attache à une nation réelle, comme ces tumeurs végétales qui ne peuvent vivre que de la sève des plantes qu’elles fatiguent et dessèchent. » Ils sucent tout, il n’y a rien que pour eux. « Toutes les branches du pouvoir exécutif sont tombées dans la caste qui fournit (déjà) l’église, la robe et l’épée. Une sorte de confraternité ou de compérage fait que les nobles se préfèrent entre eux et pour tout au reste de la nation… C’est la cour qui a régné et non le monarque. C’est la cour qui crée et distribue les places. Et qu’est-ce que la cour, sinon la tête de cette immense

  1. Siéyès, Qu’est-ce que le Tiers ? 17. 41, 139, 166.