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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


cœur est révolté, tout est pour lui sujet de ressentiment. Le Tiers, à l’exemple de Rousseau, sait aux nobles mauvais gré de tout ce qu’ils font, bien mieux, de tout ce qu’ils sont, de leur luxe, de leur élégance, de leur badinage, de leurs façons fines et brillantes. Chamfort est aigri par les politesses dont ils l’ont accablé. Siéyès leur en veut de l’abbaye qu’on lui a promise et qu’on ne lui a pas donnée. Chacun, outre le grief général a son grief personnel. Leur froideur comme leur familiarité, leurs attentions comme leurs inattentions, sont des offenses, et sous ces millions de coups d’épingle, réels ou imaginaires, la poche au fiel s’emplit.

En 1789, elle est pleine et va crever. « Le titre le plus respectable de la noblesse française, écrit Chamfort, c’est de descendre immédiatement de quelque trente mille hommes casqués, cuirassés, brassardés, cuissardés, qui, sur de grands chevaux bardés de fer, foulaient aux pieds huit ou dix millions d’hommes nus, ancêtres de la nation actuelle. Voilà un droit bien avéré au respect et à l’amour de leurs descendants ! Et, pour achever de rendre cette noblesse respectable, elle se recrute et se régénère par l’adoption de ces hommes qui ont accru leur fortune en dépouillant la cabane du pauvre hors d’état de payer ses impositions[1]. » — « Pourquoi le Tiers, dit Siéyès, ne renverrait-il pas dans les forêts de la Franconie toutes

    petit peuple dans les villes et les paysans dans les campagnes. » (Rivarol, Mémoires.)

  1. Chamfort, 335.