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L’ANCIEN RÉGIME


par les pastorales de Bernardin de Saint-Pierre, par la compilation de Raynal, par les comédies de Beaumarchais, même par le Jeune Anacharsis et par la vogue nouvelle de l’antiquité grecque et romaine, les dogmes d’égalité et de liberté filtrent et pénètrent dans toute la classe qui sait lire[1]. « Ces jours derniers, dit Metra[2], il y avait un dîner de quarante ecclésiastiques de campagne chez le curé d’Orangis, à cinq lieues de Paris. Au dessert et dans la vérité du vin, ils sont tous convenus qu’ils étaient venus à Paris voir le Mariage de Figaro… Il semble que jusqu’ici les auteurs comiques ont toujours eu l’intention de faire rire les grands aux dépens des petits ; ici au contraire ce sont les petits qui rient aux dépens des grands. » De là le succès de la pièce. — Tel régisseur d’un château a trouvé un Raynal dans la bibliothèque, et les déclamations furibondes qu’il y rencontre le ravissent à ce point que, trente ans après, il les récitera encore sans broncher. Tel sergent aux gardes françaises brode la nuit des gilets pour gagner de quoi acheter les nouveaux livres. — Après la peinture galante de boudoir, voici la peinture austère et patriotique : le Bélisaire et les Horaces de David indiquent l’esprit nouveau du public et des ateliers[3]. C’est l’esprit

    Or, puisque cet état est la source de tous les maux, sa dissolution ne peut être que celle de tous les biens. »

  1. Le Tableau de Paris, par Mercier (12 vol.), est la peinture la plus exacte et la plus abondante des idées et des aspirations de la classe moyenne de 1781 à 1788.
  2. Correspondance, par Metra, XVII, 87 (20 août. 1784).
  3. Le Bélisaire est de 1780, le Serment des Horaces est de 1783.