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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« doctrine de la souveraineté du peuple et de ses conséquences les plus extrêmes. J’aurais peine à citer un seul révolutionnaire qui ne fût transporté de ces théorèmes anarchiques et qui ne brûlât du désir de les réaliser. Ce Contrat social, qui dissout les sociétés, fut le Coran des discoureurs apprêtés de 1789, des jacobins de 1790, des républicains de 1791 et des forcenés les plus atroces… J’ai entendu Marat en 1788 lire et commenter le Contrat social dans les promenades publiques aux applaudissements d’un auditoire enthousiaste. » La même année, dans la foule immense qui remplit la Grand’Salle du Palais, Lacretelle entend le même livre cité, ses dogmes allégués[1] « par des clercs de la Basoche, par de jeunes avocats, par tout le petit peuple lettré qui fourmille de publicistes de nouvelle date ». On voit par cent détails qu’il est dans toutes les mains comme un catéchisme. En 1784[2], des fils de magistrats allant prendre leur première leçon de droit chez un agrégé, M. Sareste, c’est le Contrat social que leur maître leur donne en guise de manuel. Ceux qui trouvent trop ardue la nouvelle géométrie politique en apprennent au moins les axiomes, et, si les axiomes rebutent, on en trouve les conséquences palpables, les équivalents commodes, la menue monnaie courante dans la littérature en vogue, théâtre, histoire et romans[3]. Par les Éloges de Thomas,

  1. Lacretelle, Dix ans d’épreuves, 21.
  2. Souvenirs manuscrits, par le chancelier Pasquier.
  3. Le Compère Mathieu, par Dulaurens (1766). « Nous ne devons nos malheurs qu’à la façon dont nous avons été élevés, c’est-à-dire à l’état de société dans lequel nous sommes nés.