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L’ANCIEN RÉGIME


Tiers leur ont paru plus commodes pour la vie privée. Leur éclat les gênait, ils étaient las d’être toujours en représentation. Désormais ils acceptent la familiarité pour avoir le sans-gêne, et sont contents « de se mêler sans faste et sans entraves à tous leurs concitoyens ». — Certes, l’indice est grave, et les vieilles âmes féodales avaient raison de gronder. Le marquis de Mirabeau, apprenant que son fils veut être son propre avocat, ne se console qu’en voyant d’autres, et de plus grands, faire pis encore[1]. « Quoique ayant de la peine à avaler l’idée que le petit-fils de notre grand-père, tel que nous l’avons vu passer sur le Cours, toute la foule, petits et grands, ôtant de loin le chapeau, va maintenant figurer à la barre de l’avant-cour, disputant la pratique aux aboyeurs de chicane, je me suis dit ensuite que Louis XIV serait un peu plus étonné s’il voyait la femme de son arrière-successeur, en habit de paysanne et en tablier, sans suite, sans pages ni personne, courant le palais et les terrasses, demander au premier polisson en frac de lui donner la main que celui-ci lui prête seulement jusqu’au bas de l’escalier. » — En effet, le nivellement des façons et des dehors ne fait que manifester le nivellement des esprits et des âmes. Si l’ancien décor se défait, c’est que les sentiments qu’il annonçait se défont. Il annonçait le sérieux, la dignité, l’habitude de se contraindre et d’être en public, l’autorité, le commandement. C’était la parade fastueuse et rigide d’un

  1. Lucas de Montigny, Lettre du marquis de Mirabeau du 23 mars 1783.