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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


était de soixante-dix millions en 1770, de quatre-vingts en 1783[1] quand on a tenté de le réduire, ç’a été par des banqueroutes, l’une de deux milliards à la fin de Louis XIV, l’autre presque égalé au temps de Law, une autre du tiers et de moitié sur toutes les rentes au temps de Terray, sans compter les suppressions de détail, les réductions, les retards indéfinis de payement, et tous les procédés violents ou frauduleux qu’un débiteur puissant emploie impunément contre un créancier faible. « On compte cinquante-six violations de la foi publique depuis Henri IV jusqu’au ministère de M. de Loménie inclusivement[2] » et l’on aperçoit à l’horizon une dernière banqueroute plus effroyable que toutes les autres. Plusieurs, Besenval, Linguet, la conseillent hautement comme une amputation nécessaire et salutaire. Non seulement il y a des précédents, et en cela le gouvernement ne fera que suivre son propre exemple ; mais telle est sa règle quotidienne, puisqu’il ne vit qu’au jour le jour, à force d’expédients et de délais, creusant un trou pour en boucher un autre, et ne se sauvant de la faillite que par la patience forcée qu’il impose à ses créanciers. Avec lui, dit un contemporain, ils n’étaient jamais sûrs de rien, et il fallait toujours attendre[3]. « Plaçaient-ils leurs capitaux dans ses emprunts, ils ne pouvaient jamais compter sur une époque fixe pour le payement des intérêts. Construisaient-ils ses vais-

  1. Buchez et Roux, I, 190. Rapport de M. de Calonne.
  2. Chamfort, 105.
  3. Tocqueville, 261.