Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/146

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
L’ANCIEN RÉGIME


jugé. Ils applaudiront Saint-Lambert lorsqu’à souper, levant un verre de champagne, il proposera le retour à la nature et aux mœurs d’Otaïti[1]. — Dernière entrave, le gouvernement, la plus gênante de toutes ; car elle applique les autres et comprime l’homme de tout son poids joint à tout leur poids. Celui-ci est absolu, il est centralisé, il procède par faveurs, il est arriéré, il commet des fautes, il a des revers : que de causes de mécontentement en peu de mots ! Il a contre lui les ressentiments vagues et sourds des anciens pouvoirs qu’il a dépossédés, états provinciaux, parlements, grands personnages de province, nobles de la vieille roche qui, comme des Mirabeau, conservent l’esprit féodal, et, comme le père de Chateaubriand, appellent l’abbé Raynal un « maître homme ». Il a contre lui le dépit de tous ceux qui se croient frustrés dans la distribution des emplois et des grâces, non seulement la noblesse de province qui reste à la porte[2] pendant que la noblesse de cour mange le festin royal, mais encore le plus grand nombre des courtisans, réduits à des bribes, tandis que les favoris du petit cercle intime engloutissent tous les gros morceaux. Il a contre lui la mauvaise humeur de ses administrés, qui, lui voyant prendre le rôle de la

  1. Mme d’Épinay, Éd. Boiteau, I, 216, souper chez Mlle Quinault la comédienne, avec Saint-Lambert, le prince de…, Duclos et Mme d’Épinay.
  2. Par exemple, le père de Marmont, gentilhomme, militaire, qui ayant gagné à 28 ans la croix de Saint-Louis, quitte le service, parce que tout l’avancement est pour les gens de cour. — Retiré dans sa terre, il est libéral et enseigne à lire à son fils dans le Compte rendu de Necker. (Maréchal Marmont. Mémoires, I, 9.)