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L’ANCIEN RÉGIME


calembours, et, sa perruque à la main, les deux jambes croisées sur le fauteuil où il perche, leur prouve par un apologue comique qu’ils « raisonnent ou résonnent, sinon comme des cruches, du moins comme des cloches », en tout cas presque aussi mal que des théologiens. « C’était, dit un assistant, la plus piquante chose du monde ; cela valait le meilleur des spectacles et le meilleur des amusements. »

Le moyen, pour des nobles qui passent leur vie à causer, de ne pas rechercher des gens qui causent si bien ! Autant vaudrait prescrire à leurs femmes, qui tous les soirs vont au théâtre et jouent la Comédie à domicile, de ne pas attirer chez elles les acteurs et chanteurs en renom, Jelyotte, Sainval, Préville, le jeune Molé qui, malade et ayant besoin de réconfortants, « reçoit en un jour plus de deux mille bouteilles de vins de toute espèce des différentes dames de la cour », Mlle Clairon qui, enfermée par ordre à For l’Évêque, y attire « une affluence prodigieuse de carrosses », et trône, au milieu du plus beau cercle, dans le plus bel appartement de la prison[1]. Quand on prend la vie de la sorte, un philosophe avec toutes ses idées est aussi nécessaire dans un salon qu’un lustre avec toutes ses lumières. Il fait partie du luxe nouveau ; on l’exporte. Les souverains, au milieu de leur magnificence et au plus fort de leurs succès, l’appellent chez eux pour goûter une fois dans leur vie le plaisir de la conversation libre et parfaite.

  1. Bachaumont, III, 93 (1766), II, 202 (1765).