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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


plus tard, l’esprit public s’est retourné ; « tous ceux qui ont sur leur tête un bon toit et sur leur dos un bon habit[1] » ont vu la portée des nouvelles doctrines. En tout cas, ils sentent que des spéculations de cabinet ne doivent pas devenir des prédications de carrefour. L’impiété leur semble une indiscrétion ; ils considèrent la religion comme le ciment de l’ordre public. C’est qu’ils sont eux-mêmes des hommes publics, engagés dans l’action, ayant part au gouvernement, instruits par l’expérience quotidienne et personnelle. La pratique les a prémunis contre les chimères des théoriciens ; ils ont éprouvé par eux-mêmes combien il est difficile de mener et de contenir les hommes. Ayant manié la machine, ils savent comment elle joue, ce qu’elle vaut, ce qu’elle coûte, et ne sont point tentés de la jeter au rebut, pour en essayer une autre qu’on dit supérieure, mais qui n’existe encore que sur le papier. Le baronnet ou squire, qui est justice sur son domaine, n’a pas de peine à démêler dans le ministre de la paroisse son collaborateur indispensable et son allié naturel. Le duc ou marquis qui siège à la Chambre Haute à côté des évêques a besoin de leurs votes pour faire passer un bill, et de leur assistance pour rallier à son parti les quinze mille curés qui disposent des voix rurales. Ainsi tous ont la main sur quelque rouage social, grand ou petit, principal ou accessoire, ce qui leur donne le sérieux, la prévoyance et le bon sens. Quand on opère

  1. Mot de Macaulay.