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L’ANCIEN RÉGIME


souvent plus grande que celle de l’auteur. Quand vous parlez à des hommes de religion ou de politique, presque toujours leur opinion est faite ; leurs préjugés, leurs intérêts, leur situation les ont engagés d’avance ; ils ne vous écoutent que si vous leur dites tout haut ce qu’ils pensent tout bas. Proposez de démolir le grand édifice social pour le rebâtir à neuf sur un plan tout opposé : ordinairement vous n’aurez pour auditeurs que les gens mal logés ou sans gîte, ceux qui vivent dans les soupentes et les caves, ou qui couchent à la belle étoile, dans les terrains vagues, aux alentours de la maison. Quant au commun des habitants dont le logis est étroit, mais passable, ils craignent les déménagements, ils tiennent à leurs habitudes. La difficulté sera plus grande encore auprès de la haute classe qui occupe tous les beaux appartements ; pour qu’elle accepte votre projet, il faudra que son aveuglement ou son désintéressement soient extrêmes. — En Angleterre, elle s’aperçoit très vite du danger. La philosophie a beau y être précoce et indigène ; elle ne s’y acclimate pas. En 1729, Montesquieu écrivait sur son carnet de voyage : « Point de religion en Angleterre ; quatre ou cinq de la Chambre des Communes vont à la messe ou au sermon de la Chambre… Si quelqu’un parle de religion, tout le monde se met à rire. Un homme ayant dit de mon temps : Je crois cela comme article de foi, tout le monde se mit à rire… Il y a un comité pour considérer l’état de la religion, mais cela est regardé comme ridicule. » Cinquante ans