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L’ANCIEN RÉGIME


civil ; voici l’homme sauvage. » Sur ce vers, applaudissements, grand succès, tellement que la pièce est demandée à Versailles et jouée devant la cour.

Il reste à dire la même chose avec adresse, éclat, gaieté, verve et scandale : ce sera le Mariage de Figaro. Jamais la pensée du siècle ne s’est montrée sous un déguisement qui la rendit plus visible, ni sous une parure qui la rendit plus attrayante. Le titre est la Folle journée, et en effet c’est une soirée de folie, un après-souper comme il y en avait alors dans le beau monde, une mascarade de Français en habits d’Espagnols, avec un défilé de costumes, des décors changeants, des couplets, un ballet, un village qui danse et qui chante, une bigarrure de personnages, gentilshommes, domestiques, duègnes, juges, greffiers, avocats, maîtres de musique, jardiniers, pâtoureaux, bref un spectacle pour les oreilles, pour les yeux, pour tous les sens, le contraire de la comédie régnante, où trois personnages de carton, assis sur des fauteuils classiques, échangent des raisonnements didactiques dans un salon abstrait. Bien mieux, c’est un imbroglio où l’action surabonde, parmi des intrigues qui se croisent, se cassent et se renouent, à travers un pêle-mêle de travestissements, de reconnaissances, de surprises, de méprises, de sauts par la fenêtre, de prises de bec et de soufflets, tout cela dans un style étincelant où chaque phrase scintille par toutes ses facettes, où les répliques semblent taillées par une main de lapidaire, où les yeux s’oublieraient à contempler les brillants