Page:Taine - Les Origines de la France contemporaine, t. 2, 1910.djvu/124

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
108
L’ANCIEN RÉGIME


Héloïse. L’auteur nous rebute par la continuité de son aigreur ou par l’exagération de son enthousiasme. Il est toujours dans les extrêmes, tantôt maussade et le sourcil froncé, tantôt la larme à l’œil et levant de grands bras au ciel. L’hyperbole, la prosopopée et les autres machines littéraires jouent chez lui trop souvent et de parti pris. Nous sommes tentés de voir en lui tantôt un sophiste qui s’ingénie, tantôt un rhéteur qui s’évertue, tantôt un prédicateur qui s’échauffe, c’est-à-dire, dans tous les cas, un acteur qui soutient une thèse, prend des attitudes et cherche des effets. Enfin, sauf dans les Confessions, son style nous fatigue vite ; il est trop étudié, incessamment tendu. L’auteur est toujours auteur, et communique son défaut à ses personnages ; sa Julie plaide et disserte pendant vingt pages de suite sur le duel, sur l’amour, sur le devoir, avec une logique, un talent et des phrases qui feraient honneur à un académicien moraliste. Partout des lieux communs, des thèmes généraux, des enfilades de sentences et de raisonnements abstraits, c’est-à-dire des vérités plus ou moins vides et des paradoxes plus ou moins creux. Le moindre fait circonstancié, des anecdotes, des traits de mœurs, feraient bien mieux notre affaire ; c’est qu’aujourd’hui nous préférons l’éloquence précise des choses à l’éloquence lâche des mots. Au dix-huitième siècle, il en était autrement, et, pour tout écrivain, ce style oratoire était justement le costume de cérémonie, l’habit habillé qu’il fallait endosser pour être admis dans la compagnie des honnêtes gens. Ce qui nous