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L’ANCIEN RÉGIME


dans ses Essais sur Claude et Néron, dans son Commentaire sur Sénèque, dans ses additions à l’Histoire philosophique de Raynal, il force le ton. Ce ton, qui règne alors en vertu de l’esprit classique et de la mode nouvelle, est celui de la rhétorique sentimentale. Diderot le pousse à bout jusque dans l’emphase larmoyante ou furibonde, par des exclamations, des apostrophes, des attendrissements, des violences, des indignations, des enthousiasmes, des tirades à grand orchestre, où la fougue de sa cervelle trouve une issue et un emploi. — En revanche, parmi tant d’écrivains supérieurs, il est le seul qui soit un véritable artiste, un créateur d’âmes, un esprit en qui les objets, les événements et les personnages naissent et s’organisent d’eux-mêmes, par leurs seules forces, en vertu de leurs affinités naturelles, involontairement, sans intervention étrangère, de façon à vivre pour eux-mêmes et par eux-mêmes, à l’abri des calculs et en dehors des combinaisons de l’auteur. L’homme qui a écrit les Salons, les Petits Romans, les Entretiens, le Paradoxe du Comédien, surtout le Rêve de d’Alembert et le Neveu de Rameau, est d’espèce unique en son temps. Si alertes et si brillants que soient les personnages de Voltaire, ce sont toujours des mannequins ; leur mouvement est emprunté ; on entrevoit toujours derrière eux l’auteur qui tire la ficelle. Chez Diderot, ce fil est coupé ; il ne parle point par la bouche de ses personnages, ils ne sont pas

    fille.) — La Religieuse a une origine semblable ; il s’agissait de mystifier M. de Croismare.