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L’ANCIEN RÉGIME


humaine se réduit ainsi sous sa main à une phrase ou un vers. De l’énorme masse rugueuse et empâtée de scories, il a extrait tout l’essentiel, un grain d’or ou de cuivre, spécimen du reste, et il nous le présente sous la forme la plus maniable et la plus commode, dans une comparaison, dans une métaphore, dans une épigramme qui devient un proverbe. En ceci, nul écrivain ancien ou moderne n’approche de lui ; pour simplifier et vulgariser, il n’a pas son égal au monde. Sans sortir du ton de la conversation ordinaire et comme en se jouant, il met en petites phrases portatives les plus grandes découvertes et les plus grandes hypothèses de l’esprit humain, les théories de Descartes, Malebranche, Leibnitz, Locke et Newton, les diverses religions de l’antiquité et des temps modernes, tous les systèmes connus de physique, de physiologie, de géologie, de morale, de droit naturel, d’économie politique[1], bref, en tout ordre de connaissances, toutes les conceptions d’ensemble que l’espèce humaine au dix-huitième siècle avait atteintes. — Sa pente est si forte de ce côté, qu’elle l’entraîne trop loin ; il rapetisse les grandes choses à force de les rendre accessibles. On ne peut mettre ainsi en menue monnaie courante la religion, la légende, l’antique poésie populaire, les créations spontanées de l’instinct, les demi-visions des âges primitifs ; elles ne sont pas des sujets de conversation amusante

  1. Cf. Micromégas, L’homme aux quarante écus, Dialogues entre A, B et C. Dictionnaire philosophique, passim. — En vers, Les systèmes, La loi naturelle, Le pour et le contre, Discours sur l’homme, etc.