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LA PROPAGATION DE LA DOCTRINE


« définition ? — Je m’en souviendrai : vous appelez cela une définition ? — Oui. — C’est donc de la philosophie ? — Excellente. Et j’ai fait de la philosophie ! — Comme on fait de la prose, sans y penser. » — Le reste n’est qu’une affaire de raisonnement, c’est-à-dire de conduite, de bon ordre dans les questions, de progrès dans l’analyse. De la notion ainsi renouvelée et rectifiée, on fait sortir la vérité la plus prochaine, puis, de celle-ci, une seconde vérité contiguë à la première, et ainsi de suite jusqu’au bout, sans autre obligation que le soin d’avancer pied à pied et de n’omettre aucun intermédiaire. Avec cette méthode, on peut tout expliquer, tout faire comprendre, même à des femmes, même à des femmes du monde. C’est elle qui au dix-huitième siècle, fait toute la substance des talents, toute la trame des chefs-d’œuvre, toute la clarté, toute la popularité, toute l’autorité de la philosophie. C’est elle qui a construit les Éloges de Fontenelle, le Philosophe ignorant et le Principe d’action de Voltaire, la Lettre à M. de Beaumont et le Vicaire savoyard de Rousseau, le Traité de l’homme et les Époques de la nature de Buffon, les Dialogues sur les blés de Galiani, les Considérations de d’Alembert sur les mathématiques, la Langue des calculs et la Logique de Condillac, un peu plus tard l’Exposition du système du Monde de Laplace et les Discours généraux de Bichat et de Cuvier[1]. C’est elle enfin que Condillac

  1. Même procédé de nos jours dans les Sophismes économiques de Bastiat, dans les Éloges historiques de Flourens, dans le Progrès d’Edmond About.