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L’ANCIEN RÉGIME


philosopher sans le savoir, trouver sans effort la définition du bien et du mal, comprendre et juger les plus hautes doctrines de la morale et de la religion. — Tel est l’art du dix-huitième siècle et l’art d’écrire. On s’adresse à des gens qui savent très bien la vie et qui, le plus souvent, ne savent pas l’orthographe, qui sont curieux de tout et ne sont préparés sur rien ; il s’agit de faire descendre la vérité jusqu’à eux. Point de termes scientifiques ou trop abstraits ; ils ne tolèrent que les mots de leur conversation ordinaire. Et ceci n’est pas un obstacle : il est plus aisé avec cette langue de parler philosophie que préséances et chiffons. Car, dans toute question générale, il y a quelque notion capitale et simple de laquelle le reste dépend, celles d’unité, de mesure, de masse, de mouvement en mathématiques, celles d’organe, de fonction, de vie en physiologie, celles de sensation, de peine, de plaisir, de désir en psychologie, celles d’utilité, de contrat, de loi en politique et en morale, celles d’avances, de produit, de valeur, d’échange en économie politique, et de même dans les autres sciences, toutes notions tirées de l’expérience courante, d’où il suit qu’en faisant appel à l’expérience ordinaire, au moyen de quelques exemples familiers, avec des historiettes, des anecdotes, de petits récits qui peuvent être agréables, on peut reformer ces notions et les préciser. Cela fait, presque tout est fait ; car il n’y plus qu’à mener l’auditeur pas à pas, de gradin en gradin, jusqu’aux dernières conséquences. — « Madame la maréchale aura-t-elle la bonté de se souvenir de sa