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LE RÉGIME MODERNE


chrétiens, remonte jusqu’à Trajan et Auguste[1]. Tant qu’une croyance reste muette et solitaire, enfermée dans l’enceinte d’une conscience individuelle, elle est libre, l’État ne s’en occupe pas ; mais, dès qu’elle sort de cette clôture, parle en public, associe plusieurs individus pour un objet commun et par des actes visibles, elle est sujette ; le culte, les cérémonies, la prédication, l’enseignement et la propagande qu’elle institue, les dons qu’elle provoque, les assemblées qu’elle convoque, la structure et l’alimentation du corps qu’elle engendre, toutes les applications positives du rêve intime sont des œuvres temporelles. À ce titre, elles forment une province du domaine public et tombent sous la compétence du gouvernement, de l’administration, des tribunaux ; l’État a qualité pour les interdire, les tolérer, les autoriser, et toujours pour les conduire ; propriétaire unique et universel du terrain extérieur par lequel les consciences solitaires communiquent entre elles, à chacun de leurs pas il intervient pour leur tracer ou leur barrer la route.

  1. Cf. les lois romaines sur les Collegia illicita, leur source première est la conception romaine de la religion, l’emploi politique et pratique des augures, des auspices, des poulets sacrés. — Il est curieux de suivre la longue vie et survie de cette idée capitale depuis l’antiquité jusqu’aujourd’hui ; elle reparaît dans le Concordat et dans les Articles organiques de 1801, plus tard encore, dans les décrets récents qui ont dissous les communautés non autorisées et fermé les couvents d’hommes. — Les légistes français et, en particulier, les légistes de Napoléon, sont profondément imbus de l’idée romaine. Portalis, dans son exposé des motifs pour l’établissement des séminaires métropolitains (14 mars 1804), appuie le décret sur le droit romain. « Les lois romaines, dit-il, plaçaient tout ce qui regarde le culte dans la classe des choses qui appartiennent essentiellement au droit public. »