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LE RÉGIME MODERNE

IV

Par delà ce service positif et actuel qu’il tire du souverain pontife, il en attend d’autres, plus grands, indéfinis, d’abord son sacre futur à Notre-Dame : déjà, pendant les négociations du Concordat, La Fayette[1] lui disait avec un sourire : « Vous avez envie de vous faire casser la petite fiole sur la tête » ; et le Premier Consul ne disait pas non ; au contraire, il répondait, et probablement lui aussi avec un sourire : « Nous verrons, nous verrons ». Aussi bien, ses pensées s’élançaient plus loin, plus haut que l’établissement d’une monarchie ordinaire, au delà de ce qu’un homme de l’ancien régime pouvait imaginer ou deviner, jusqu’à l’établissement d’un empire européen, jusqu’à la reconstruction de l’empire d’Occident tel qu’il était en 800 : « Je n’ai pas succédé à Louis XIV, dira-t-il bientôt[2], mais à Charlemagne… Je suis Charlemagne, parce que, comme Charlemagne, je réunis la couronne de France à celle des Lombards

  1. La Fayette, Mémoires, II, 200 (Mes rapports avec le Premier Consul).
  2. Comte d’Haussonville, l’Église romaine et le Premier Empire, II, 78 et 101 (Lettres de Napoléon au cardinal Fesch, 7 janvier 1806, au saint-père, 13 février 1806, et au cardinal Fesch, même date). « Votre Sainteté aura pour moi dans le temporel les mêmes égards que je lui porte dans le spirituel… Tous mes ennemis doivent être les siens. » — « Dites bien (aux gens de Rome) que je suis Charlemagne, l’épée de l’Église, leur empereur, que je dois être traité de même, qu’ils ne doivent pas savoir s’il y a un empire de Russie… Si le pape n’adhère pas à mes intentions, je le réduirai à la condition qu’il était avant Charlemagne. »