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L’ÉCOLE


divers s’offrent de toutes parts[1], où toute carrière peut conduire aux plus hauts sommets, où un fendeur de bois est devenu président de la république, ou l’adulte change plusieurs fois de carrière et doit, pour s’improviser chaque fois une compétence, posséder des rudiments de toutes les connaissances, où la femme, étant pour l’homme un objet de luxe, ne travaille pas, de ses bras, à la terre, et ne travaille presque pas, de ses mains, au ménage. — Il n’en est pas de même en France : sur dix élèves de l’école primaire, neuf, fils ou filles de paysans et d’ouvriers, resteront dans la condition de leurs parents ; la fille, adulte, fera toute sa vie, à domicile ou chez autrui, le blanchissage et la cuisine ; le fils, adulte, confiné dans un métier, fera toute sa vie la même œuvre manuelle dans un atelier, dans son échoppe, sur son champ ou sur le champ d’autrui. Entre cette destinée de l’adulte et la plénitude de son instruction primaire, la disproportion est énorme ; manifestement son éducation ne le prépare point à sa vie telle qu’il l’aura, mais à une autre vie, moins monotone, moins restreinte, plus cérébrale, et qui, vaguement entrevue, le dégoûtera de la sienne[2] ; du moins,

  1. Il faut tenir compte, non seulement comme ici, du débouché social, mais encore du tempérament national. L’instruction disproportionnée et supérieure à la condition opère différemment sur des races différentes : pour l’Allemand adulte, elle est plutôt un calmant et un dérivatif ; dans le Français adulte, elle est surtout un irritant ou même un explosif.
  2. Parmi les élèves qui reçoivent cette instruction primaire, les plus intelligents et les plus appliqués poussent plus avant, passent un examen, obtiennent le petit brevet qui les qualifie pour l’enseignement élémentaire. En voici les conséquences (Tableau com-