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LE RÉGIME MODERNE


d’hommes et surtout par beaucoup de femmes, a reçu satisfaction ; les autres parents, qui n’éprouvent pas ce besoin, mettent leurs enfants au lycée ; en 1865, dans les petits séminaires et autres établissements ecclésiastiques, il y a 54 000 élèves ; dans les lycées et collèges de l’État, 64 000[1], et les deux clientèles se balancent.

Mais cela même est un danger. Car, naturellement, l’État enseignant constate avec regret que sa clientèle diminue ; il ne voit pas de bon œil le rival qui lui prend tant d’élèves. Naturellement aussi, en cas de lutte électorale, l’Église favorise le parti qui la favorise le plus, ce qui l’expose à des rancunes et, en cas de défaite politique, à des hostilités. Or il y a des chances pour qu’en ce cas les gouvernements hostiles s’appliquent à la frapper à l’endroit sensible, à l’endroit de l’enseignement, qu’ils répugnent à la liberté et même à

    ici que, si j’étais père, j’aimerais mieux voir mes enfants croupir toute leur vie dans l’ignorance et l’oisiveté que de les exposer à l’horrible chance que j’ai couru moi-même, d’acheter un peu de science au prix de la foi de leur père, au prix de tout ce qu’il y avait de pureté et de fraîcheur dans leur âme, d’honneur et de vertu dans leur cœur. » — (Témoignage d’un protestant zélé, M. de Gasparin) : « L’éducation religieuse n’existe réellement pas dans les collèges. Je me rappelle avec terreur ce que j’étais au sortir de cette éducation nationale. Étions-nous de bien excellents citoyens ? Je l’ignore. Mais assurément nous n’étions pas des chrétiens. » — (Témoignage d’un libre penseur, Sainte-Beuve) : « En masse, les professeurs de l’Université, sans être hostiles à la religion, ne sont pas religieux. Les élèves le sentent, et, de toute cette atmosphère ils sortent, non pas nourris d’irréligion, mais indifférents… On ne sort guère chrétien des écoles de l’Université. »

  1. Boissier, Revue des Deux Mondes, 1869, 711.