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LE RÉGIME MODERNE


à l’autorité civile et celui qui appartient à l’autorité religieuse, y a-t-il des limites, une ligne de séparation ? « Je[1] cherche en vain où la placer ; son existence n’est qu’une chimère. J’ai beau regarder, je ne vois que des nuages, des obscurités, des difficultés : le gouvernement civil condamne à mort un criminel ; le prêtre lui donne l’absolution et lui promet le paradis » ; à propos du même acte et sur le même individu, les deux pouvoirs, l’un par la guillotine, l’autre par le pardon, opèrent publiquement en sens inverses. Puisque les deux autorités peuvent se heurter, prévenons leurs conflits, ne laissons pas leur frontière incertaine, traçons-la d’avance, faisons-nous notre part nous-mêmes et ne souffrons pas que l’Église empiète sur l’État ; au fond, elle veut tout avoir ; ce qu’elle nous concède est l’accessoire et ce qu’elle s’adjuge est le principal. « Voyez[2] l’insolence des prêtres, qui, dans le partage de l’autorité avec ce qu’ils appellent le pouvoir temporel, se réservent l’action sur l’intelligence, sur la partie noble de l’homme, et prétendent me réduire à n’avoir d’action que sur les corps. Ils gardent l’âme et me rejettent le cadavre. » Les choses allaient mieux dans l’antiquité et vont mieux dans les pays musulmans : « Dans la république romaine[3], les sénateurs étaient les interprètes du ciel, et c’était le principal ressort de la puissance et de la solidité de ce gouvernement ;

  1. Pelet de la Lozère, 205 (11 février 1804).
  2. Id., 201.
  3. Id., 206 (11 février 1804).