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LE RÉGIME MODERNE


rédacteurs en chef sont nommés par le ministre de la police. D’autre part, la propriété de ces journaux est confisquée, et l’empereur, qui s’en est saisi, la concède, pour un tiers, à sa police, pour les deux autres tiers, à des gens de cour ou de lettres, ses fonctionnaires ou ses créatures. D’année en année, sous ce régime incessamment aggravé, les journaux sont devenus si vides que la police, pour occuper et distraire le public, y institue des combats de plume, entre un amateur de la musique française et un amateur de la musique italienne.

Contenu presque aussi rigoureusement que le journal, le livre est mutilé ou ne peut paraître[1]. Défense à Chateaubriand de réimprimer son Essai sur les Révolutions, publié à Londres sous le Directoire. Dans l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, on l’oblige à retrancher « plusieurs déclamations sur les cours, les courtisans, et quelques traits propres à exciter des allusions déplacées ». La censure interdit le Dernier des Abencérages, « où elle découvre un intérêt trop ardent pour la cause espagnole ». Il faut lire le registre entier pour la voir à l’œuvre, et dans le détail pour sentir avec quelle minutie grotesque et sinistre elle poursuit et détruit, non seulement chez les écrivains grands ou moyens, mais encore chez les compilateurs et les abréviateurs infimes, dans une traduction, dans un dictionnaire, dans un manuel, dans un almanach, non seulement des pensées, mais des velléités, des échos, des semblants et des inadvertances de pensées, des possibilités d’appel à la ré-

  1. Welschinger, 196, 201.