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LE RÉGIME MODERNE


briand, par une allusion au rôle révolutionnaire de son prédécesseur M.-J. Chénier, avait observé qu’il ne pouvait louer en lui que l’homme de lettres[1], et, dans le comité de réception, six académiciens sur douze avaient accepté le discours. Là-dessus, prudemment, Fontanes, l’un des douze, évite d’aller à Saint-Cloud ; mais M. de Ségur, président du comité, y va ; le soir, au coucher, devant toute la cour qui fait cercle, Napoléon marche sur lui et, avec cet accent terrible qui aujourd’hui vibre encore à travers les lignes mortes du papier muet : « Monsieur, lui dit-il, les gens de lettres veulent donc mettre le feu à la France ?… Comment l’Académie ose-t-elle parler des régicides ?… Vous et M. de Fontanes, comme conseiller d’État et Grand Maître, vous mériteriez que je vous misse à Vincennes… Vous présidez la seconde classe de l’Institut, je vous ordonne de lui dire que je ne veux pas qu’on parle de politique dans ses séances… Si la classe désobéit, je la casserai comme un mauvais club. »

Avertis de la sorte, les membres de l’Institut ne sortiront pas du cercle tracé, et, pour beaucoup d’entre eux, le cercle est assez large. Que dans la première classe de

  1. Ségur, Mémoires, III, 457 : « M. de Chateaubriand composa son discours avec beaucoup d’art : son but évident était de ne déplaire à aucun de ses collègues, sans en excepter Napoléon. Il louait avec une vive éloquence la gloire de l’Empereur ; il exaltait la grandeur des sentiments républicains. » À l’endroit de son prédécesseur régicide, pour expliquer et excuser ses omissions ou réticences, il rapprochait Chénier de Milton et remarquait que, pendant quarante ans, le même silence avait été observé à l’endroit de Milton en Angleterre.