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L’ÉCOLE


et non d’un autre pour porter, restreindre, ou suspendre notre jugement. Tant que l’intelligence l’emploie et n’emploie que lui ou ses analogues, pour affirmer ignorer ou douter, elle s’appelle la raison, et les vérités, ainsi obtenues, sont des acquisitions définitives. Acquises une à une, les vérités ainsi obtenues sont restées longtemps éparses, à l’état de fragments ; il n’y avait encore que des sciences isolées ou des morceaux de science ; vers le milieu du XVIIIe siècle, ces parties séparées se sont rejointes et ont formé un corps, un système cohérent ; de là ce qui fut alors appelé philosophie, c’est-à-dire une vue d’ensemble sur la nature, sur son ordonnance totale et son fond subsistant, une sorte de filet universel qui, soudainement déployé, étendit ses prises par delà le monde physique, sur tout le monde moral[1], sur l’homme et les hommes, sur leurs facultés et leurs passions, sur leurs œuvres individuelles ou collectives, sur les diverses sociétés humaines, sur leur histoire, leurs coutumes et leurs institutions, codes et gouvernements, religions, langues, littératures et beaux-arts, agriculture, industrie, propriété, famille, éducation et le reste. Là aussi, dans chaque tout naturel, les parties simultanées et successives sont liées ; il importe de connaître leurs attaches mutuelles, et, dans l’ordre

  1. L’Essai sur les mœurs, par Voltaire, est de 1756 ; l’Esprit des lois, par Montesquieu, est de 1748. Condillac publie, en 1746, son Essai sur l’origine des connaissances, et, en 1754, son Traité des sensations. L’Émile, par Rousseau, est de 1762 ; le Traité de la formation mécanique des langues, par le président de Brosses, est de 1765 ; la Physiocratie, par Quesnay, paraît en 1768, et l’Encyclopédie de 1750 à 1765.