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LE RÉGIME MODERNE


emmagasinée et débitée par les maîtres ; l’étudiant qui en prend livraison tient avant tout à ce qu’elle soit de qualité supérieure, de provenance authentique, très nutritive ; sans doute, par amour-propre et conscience, les maîtres tâchent de la fournir telle ; mais c’est lui-même qui s’en fournit là où il la juge telle, dans ce débit plutôt que dans les autres, auprès de telle chaire, officielle ou non. Enseigner et apprendre la science pour elle-même et pour elle seule, sans subordonner ce but à un autre but distinct et prédominant, diriger les esprits vers ce terme et dans cette voie, sous les impulsions et les freins de l’offre et de la demande, ouvrir le plus large champ et la plus large carrière aux facultés, au travail, aux préférences de l’individu pensant, maître ou disciple, voilà l’esprit de l’institution. Et, manifestement, pour opérer selon son esprit, elle a besoin d’un corps indépendant, approprié, c’est-à-dire autonome, abrité contre l’ingérence de l’État, de l’Église, de la province, de la commune, et de tous les autres pouvoirs généraux ou locaux, pourvu d’un statut, érigé par la loi en personne civile, capable d’acquérir, de vendre, de contracter, bref en propriétaire. — Ceci n’est pas un plan chimérique, œuvre de l’imagination spéculative et raisonneuse, bon à figurer et à rester sur le papier. Les universités du moyen âge se sont toutes organisées selon ce type ; partout et longtemps il s’est trouvé viable et vivace ; avant la Révolution, les vingt-deux universités de France, quoique déformées, rabougries et desséchées, en avaient gardé plusieurs traits,